Par
Lazare Ki-Zerbo
(Réseau Gouvernance Burkina Faso)
2004
Ce texte est une ébauche d’évaluation du processus d’intégration en Afrique. Après quatre décennies d’expérience de l’intégration, les résultats sont forts mitigés. Les nombreuses organisations intergouvernementales se sont avérées inefficientes et ne développent aucune synergie entre elles. Ceux qui ont le plus intérêt à cette intégration (les consommateurs, les collectivités locales frontalières) ne sont pas pris en compte dans les politiques gouvernementales d’intégration. Ainsi cette crise de l’intégration en Afrique repose en partie sur l’échec des modes de gouvernance ce qui pose l’urgence d’une refondation de l’intégration des OIG. Cette refondation passe par l’émergence d’espaces de concertation où seront présents les organisations sociales et professionnelles pour une lecture critique des politiques en cours et la formulation de propositions
I. L’intégration : les échecs et impasses de l’approche technocratique
Après quatre décennies d’expérience de l’intégration, on se rend compte que les résultats sont forts mitigés. Les différentes études & audits & évaluations ont souligner les faits suivants :
la grande inefficience des institutions prises isolément, notamment en matière de gestion
la faiblesse de la synergie et la complémentarité entre institutions
le faible impact des politiques et mesures eu égard aux attentes des acteurs vis à vis de l’intégration sous régionale.
Des recommandations ont souvent été formulées.
Ces appréciations recoupent les points de vue des acteurs de la société civile sur les institutions inter gouvernementales et le processus d’intégration.
On peut observer les difficultés et l’inertie des dirigeants de ces institutions et des responsables politiques de prendre les décisions et mettre en œuvre les mesures appropriées. «Dans l’intégration régionale en Afrique, la volonté politique n’a pas suivi les grands discours afin d’assurer la mise en œuvre des politiques économiques. Les mesures adoptées dans les fora régionaux ne sont presque jamais incorporées dans les politiques , les programmes et les lois nationales » .
Cette inertie provient en grande partie des facteurs suivants :
les stratégies des responsables ministériels souvent soucieux de préserver la position singulière d’un Etat (stratégie géopolitique), ou parfois tout simplement certains privilèges individuels
Les difficultés d’opérationnalisation des dispositions prises en matière d’intégration , du fait du fonctionnement (pesanteurs) des services administratifs au sein des différents pays
la faible autonomie des modalités d’audit et d’évaluation, ainsi que leur accessibilité au public
le faible lien entre les performances du personnel partant des organes dirigeants et les sanctions s’appliquant à eux.
La rationalisation des OIG, leur mise en synergie pour une meilleure efficience a des implications de plusieurs ordres qui bousculent des intérêts divers et solidement établis.
Une réflexion approfondie sur le processus d’intégration ne peut éluder les questions suivantes : quels sont les acteurs qui ont effectivement intérêt à l’intégration africaine ? Quels sont ceux qui sont les mieux à même de porter le processus (formulation des stratégies, formulation des modalités opérationnelles de mises en œuvre, veille effective pour l’application des mesures) ? A ces questions la réponse est sans appel : les consommateurs d’une façon générale, et les secteurs productifs les plus compétitifs au sein de cet espace ; mais aussi les commerçants, les collectivités locales, particulièrement toutes celles dont les frontières coïncident avec celles d’Etats voisins. Jusqu’à présent les collectivités locales (en particulier celles qui sont trans-frontalières), issues du processus de décentralisation n’ont pas exprimé et traduites toutes les propositions et programmes les mieux à même de renforcer les dynamiques d’intégration qui de fait ont toujours existé, en dépit des politiques de désintégration qui se sont succédé depuis plusieurs décennies.
Jusque là ces acteurs n’ont pas eu de prise sur le processus d’intégration ; ils ont assisté aux discours formulés pendant que dans le même temps les mesures tardaient à venir ou se traduisaient très peu de manière opérationnelle.
Il convient de donner la possibilité à ces acteurs, à travers des formes d’organisations existantes ou des mécanismes à créer , la possibilité et le poids nécessaire pour infléchir le processus.
II. Pour une revalorisation du rôle des acteurs à la base
Le discours sur l’intégration a été très largement technocratique jusque là. Les objectifs, le rythme, ainsi que les mesures d’accompagnement, telles que dictées par les préoccupations des acteurs n’ont pas fait l’objet d’une concertation approfondie. Cela n’a rien d’étonnant, le processus d’élaboration des politiques régionales, leur mise en œuvre ainsi que leur évaluation s’est effectuée de manière similaire à ce qu’il est au sein des Etats pris individuellement.
La crise du développement en Afrique et par conséquent celle de l’intégration repose en partie sur l’échec des modes de gouvernance. Jusque là les décisions ont obéît à une logique technocratique associant experts du nord et accessoirement les cadres nationaux. Cette optique n ’ pouvait prendre en compte les préoccupations des acteurs directement intéressés aux résultats des actions de développement. C’est une nouvelle conquête démocratique qui reste à effectuer, faute de quoi les changements politiques donneraient des résultats mitigés.
Il convient de travailler à renverser les modes de pensée et d’action : articuler l’élaboration des stratégies, les modalités de mise en œuvre et d’évaluation avec les acteurs .
La proposition consiste à opérer une rupture dans la gouvernance, à situer les acteurs au centre des mécanismes existants.
Cela a des implications à plusieurs niveaux :
la gouvernance des institutions : ceci impliquant une présence plus marquée des acteurs non gouvernementaux dans le management de ces institutions, une concertation préalable pour la prise de décision (formulations des politiques, management)
l’autonomie accrue des modalités d’audit et d’évaluation, leur accès au public et l’application de sanctions.
des procédures allégées et crédibles d’appel et de poursuite des Etats et des secteurs gouvernementaux (p.e. les services nationaux de douane ou de police aux frontières) pervertissant ou freinant l’application effective des mesures.
Il s’agit de défis impliquant un processus à moyen terme pour lequel il faut s’atteler dès à présent dès à présent.
III. Pour une démarche de refondation des OIG (Organismes inter Gouvernementaux) et de la stratégie d’intégration
Deux phases sont suggérées.
1) Concertation avec les différents groupes sociaux et les collectivités locales (régions et communes frontalières en particulier)
Cette concertation vise les objectifs suivants : amener les acteurs à procéder à une lecture critique des expériences d’intégration et à formuler des propositions de refondation du processus et de leurs rôles.
Les collectivités locales frontalières ont un potentiel d’intégration et des enseignements à tirer de leur expérience. En fonction des initiatives qu’elles mènent et des potentiels perçus, elles ont des lignes de politiques se traduisant par la construction de politiques communes. Elles ont également des propositions sur les mécanismes pouvant leur permettre d’avoir voie aux chapitres sur le mécanisme de gestion des institutions.
Dans le même sens, les organisations professionnelles (commerçants, transporteurs, professions libérales, entrepreneurs, consommateurs, bonne gouvernance…) ont une appréciation très concrète des politiques actuelles ainsi que des propositions.
Ces acteurs évalueront les politiques de coopération actuels en appui aux organisations inter gouvernementales en vue du processus d’intégration.
Le fruit de leur réflexion doit déboucher sur les lignes à considérer, sur les stratégies pour construire le processus d’intégration et les rôles à jouer par les bailleurs de fonds.
Il est capital que le processus de bilan et de formulation des lignes directrices par la societé civile soit le fait d’une structure autonome et crédible dont le rôle sera la facilitation de la réflexion. Au delà du bilan, il s’agira de les amener à apprécier les mécanismes actuels de fonctionnement des OIG, les programmes en cours, les modalités de leur élaboration. Le défi majeur , pour un tel exercice serait de suggérer les lignes directrices permettant d’aller vers une gouvernance donnant un pouvoir effectif aux acteurs de la société civile (dans l’élaboration des stratégies d’intégration, dans le suivi de la mise en œuvre , dans le contrôle et les audits). Il est heureux de constater signe des temps, qu’à l’initiative du REAO (Réseau des Entrepreneurs d’Afrique de l’Ouest), un processus de mise en place d’un observatoire des pratiques anormales est en cours. C’est dans un tel sens que les innovations majeures seront produites.
Des réseaux et organisations de dimension régionale existent déjà, qu’il s’agisse des producteurs agricoles, des entrepreneurs ou d’autres types de profession. Il conviendra de se baser sur celles qui existent pour amorcer le processus de réflexion. Pour les autres types d’acteurs, il faudrait envisager des formes de réflexion à l’échelle nationale et de confrontation & enrichissement à l’échelle régionale.
2) Examen des propositions et formulations des politiques, mécanismes et dispositifs institutionnels
Sur la base des résultats de cette concertation, la tâche consistera :
à formuler des propositions de réaménagement institutionnel
à formuler des politiques et stratégies, avec surtout les modalités adéquates de mise en œuvre
Dans cette perspective les dispositions à prendre pour permettre aux acteurs de base de jouer leurs rôles seront définies ; elles comporteront notamment une politique adéquate d’information, de renforcement des capacités, de mise en réseau et plus généralement de capacités de lobbying.
Dans cette optique la place et les rôles particuliers des politiques de coopération seront redéfinies et serviront de trame de négociation sur la révision de la réforme des OIG et l’appui de la coopération au processus d’intégration dans son ensemble.
Les bailleurs de fonds comme les Etats ont fait du discours sur la participation et la bonne gouvernance un credo. A cet égard, les propositions issues de la réflexion des acteurs de la société civile doivent se traduire en engagement de les faire respecter, tant de la part des Etats que des bailleurs de fonds.