Re-founding the living together and the State

Building consensus on the fundamental principles of the functioning and management of societies through the constitutions

Souvent inspirées du modèle de l’ancienne puissance coloniale, élaborées par un collège de professeurs de droit, sans association de toute la société à la définition et à la discussion des principes fondateurs, les constitutions sont certes soumises à un vote formel du peuple, mais elles n’en restent pas moins un objet étranger à la société. Loin de rapprocher les Etats des sociétés, elles n’ont contribué qu’à les en éloigner. Dès lors, il n’est pas étonnant que ces constitutions, dont la valeur devrait être d’offrir à la gouvernance un socle enraciné et durable, soient traitées avec légèreté, modifiées au gré des besoins des élites au pouvoir. Pour être légitimes aux yeux de tout un peuple, les principes de gouvernance doivent refléter la manière dont la société elle-même pense qu’elle doit être gérée. Ces principes doivent être vivants, trouver leur écho dans la gestion collective à différents niveaux, depuis la famille, le village et le quartier jusqu’à la nation toute entière. Écrites dans un langage accessible à tous et dans les langues nationales, longuement débattues, reflétant la vision que la société veut avoir d’elle-même pour l’avenir, les constitutions doivent être l’expression vivante de la volonté de vivre ensemble et de la capacité à le faire.

La question de l’adaptation du droit aux sociétés qu’il est censé réguler ancienne, universelle et permanente. L’Afrique n’y échappe pas et doit y faire face autant sinon davantage que les autres régions du monde en raison de sa perméabilité historique aux influences étrangères, arabo-musulmanes puis européennes. Au moment de leur accession à l’indépendance, la plupart des Etats, encore marqués par une grande fragilité, ont cherché à unifier leur système juridique, le droit étant dans une certaine mesure considéré comme une des pièces maîtresses de l’édification d’Etats-Nations stables. De façon générale, cette volonté d’unification des normes elles-mêmes et de leurs sources s’est traduite par une sorte de syncrétisme capitalisant les évolutions majeures des sociétés mais a été surtout marquée par l’influence des systèmes juridiques des colonisateurs. Un tel constat est valable pour toutes les branches du droit, et particulièrement du droit privé, mais il est aussi applicable aux règles du droit public et aux systèmes institutionnels. Toutefois, et surtout dans ce dernier domaine, l’importation de modèles étrangers a fait l’objet d’adaptations locales par voie de ré-interprétations, d’instrumentalisations et de pratiques qui ont enfanté des systèmes propres à chaque pays mais dont les grands traits sont identiques presque partout, notamment en Afrique de l’Ouest.

Les constitutions africaines illustrent de façon éclatante ce phénomène d’importation mimétique puis d’ « endogénéisation » de systèmes juridiques et institutionnels. Comme toute greffe, les greffes constitutionnelles donnent à observer schématiquement des étapes cycliques faites d’abord d’apprentissage préfigurant la réception du « corps étranger », puis de progrès supposant son assimilation et son adaptation et enfin de reflux et/ou de stabilisation. La période des apprentissages va des indépendances à la fin des années 80 caractérisées par « les partis uniques », l’absence d’alternance, les oppositions clandestines, les restrictions des libertés individuelles et collectives. Le début des années 90 constitue une étape charnière dans le développement du constitutionnalisme au sens où il marque de grands progrès dans la voie de la démocratie, du pluralisme et de la protection des droits et libertés. L’euphorie consécutive aux conquêtes démocratiques a cependant laissé place à une réalité plus mitigée, suscitant perplexité et interrogation face à des systèmes constitutionnels et institutionnels devenus instables, alimentant les crises et les conflits, souvent violents, plutôt que de les réguler, jugés ineffectifs et inadaptés aux sociétés.

La perplexité que suscite l’observation de la période actuelle peut se décliner dans deux approches relativement contradictoires. La première, extrémiste si l’on peut dire, consiste à considérer que les crises constitutionnelles actuelles ne sont que l’expression d’un grand recul résultant de l’adaptation, technique en quelque sorte, d’instruments démocratiques mais débarrassés de toutes les valeurs, notamment éthique, qui doivent innerver tout système réellement démocratique et lui donner sens. La seconde, plus nuancée, consiste, sans nier leur existence, à voir dans les crises actuelles la manifestation de systèmes constitutionnels en pleine mutation voire en maturation, préludes à des changements annonciateurs d’une plus grande stabilité, déjà observable dans certaines expériences nationales.

Quelle que soit la valeur de l’une ou l’autre approche, il est évident que « quelque chose est train de se passer » que l’on ne peut assimiler à un réel progrès. Recul ou mutation, la crise est présente et elle se déploie sous la forme d’un « révisionnisme » constitutionnel souvent taillé « sur mesure » et parfois exécuté « à la sauvette », d’une incapacité à organiser des élections et des alternances apaisées, d’institutions inaptes à assurer un équilibre, une saine distribution et un contrôle effectif des pouvoirs, de privations de libertés. Recul ou mutation, la crise invite surtout à une réflexion renouvelée sur le constitutionnalisme et les systèmes institutionnels en Afrique. Cette réflexion ne doit pas avoir pour objet les manifestations de la crise, manifestations décrites plus haut. Elle se consacre plutôt à la nommer, à la qualifier, à en décrire les sources et à en explorer les voies de résolution.

La crise est d’abord celle de la norme constitutionnelle en soi et plus particulièrement des valeurs qu’elle véhicule et qui la fondent. Cette crise pose fondamentalement la question de la légitimité des constitutions africaines au-delà de la beauté et de l’universalité des principes affirmés. Au fond, si les constitutions ne sont pas effectives, n’est-ce pas en partie parce que le devoir d’obéissance, « naturelle » et « spontanée », à la norme, la reconnaissance de sa supériorité, « transcendantale », ne dépendent pas exclusivement des mécanismes techniques et procéduraux qui en garantissent le respect ? Il y a certainement une bonne dose de mythe, de mystique constitutionnelle, de représentation morale et éthique qui constituent le soubassement d’un acte qui institue, constitue un Etat. La recherche de ces « mythes fondateurs » devient une problématique essentielle voire existentielle pour des Etats dont le socle commun se perd à la faveur des divisions partisanes, ethniques, tribales, confrériques ou religieuses. La fréquence, le caractère contingent des révisions constitutionnelles ainsi que la tolérance « sociale » à leur égard sont le signe évident de la crise des valeurs constitutionnelles.

La crise est ensuite celle du pouvoir constituant, originaire et dérivé. Elle est étroitement liée à la crise de légitimité de la norme elle-même mais elle s’exprime dans les procédés techniques d’élaboration, d’adoption et de révision des constitutions. L’association des peuples, détenteur de la souveraineté, à l’élaboration et à la garantie d’un acte qui institue les modalités du vivre ensemble est devenue quasi caricaturale. Les rapports de pouvoir, entre les pouvoirs, ont vidé de leur sens les mécanismes de révision des normes constitutionnelles. Au fond, cette crise épouse largement les contours de la déliquescence de la démocratie représentative minée par le fait majoritaire partisan et des pratiques politiques, sociales et juridiques peu soucieuses de la préservation du lien entre les hommes et entre les communautés humaines.

La crise est enfin celle de la justice constitutionnelle. L’édification d’un Etat de droit viable dépend en grande partie de l’attitude, de l’organisation et de l’indépendance du pouvoir judiciaire qui en assure le respect et la pérennité. Or sa soumission au pouvoir politique est un phénomène récurrent en Afrique. Le contrôle du respect des normes constitutionnelles, s’il existe, obéit plus souvent que parfois à des considérations étrangères à la sauvegarde de l’Etat de droit.

En définitive, la problématique générale soulevée par cette triple crise et que l’atelier se propose comme objet de réflexion est relative à la question de l’ancrage social, politique et juridique du constitutionnalisme en Afrique. En effet, parce qu’elle est fondamentalement un outil de régulation et de pacification des rapports humains, publics et privés, au sein d’un Etat et, subsidiairement, un élément de la détermination de la place de chaque Etat dans le monde, la constitution entretient des relations étroites avec les règles et les manières de gouverner les hommes, les biens et les espaces et s’insère ainsi au cœur de la problématique, plus large, de la gouvernance. Or la crise de la gouvernance, objet de toutes les attentions contemporaines des acteurs sociaux, politiques et intellectuels, est aussi profondément une crise des actes instituant les Etats et les communautés et définissant leurs relations. Sous ce rapport, l’effectivité d’une constitution en tant qu’expression d’un projet collectif sociétal participe de la résolution de la crise de gouvernance à laquelle le monde et chaque Etat sont confrontés. L’ampleur et la difficulté des problèmes posés ne doivent pas faire oublier à cet égard les progrès accomplis et les pas décisifs franchis pendant ces dernières décennies. Au contraire, les expériences positives d’une époque ou d’un pays, dans un domaine ou dans un autre, doivent servir à la construire d’un avenir constitutionnel maîtrisé.

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