Perceptions de la gouvernance au Togo

La présente communication est une contribution au débat sur la gouvernance en Afrique. Elle est tirée d’une étude de cas sur le Togo que nous avons eu à mener dans le cadre d’une vaste étude sur la gouvernance dans le monde organisée par l’Université des Nations Unies en l’an 2000. Cette étude recherche à recueillir les perceptions des populations sur la gouvernance à partir de six dimensions, à savoir :

§ La participation au processus politique

§ L’agrégation des intérêts dans le processus politique

§ La conduite de l’Etat

§ L’application des politiques, en particulier la bureaucratie

§ Les relations entre l’Etat et le marché

§ Le règlement des différends, en particulier le pouvoir judiciaire

A l’intérieur de chaque dimension, cinq questions sont posées en relation avec la nature de la dimension, soit au total 30 questions. Chaque question est notée de 1 à 5 selon que le répondant qualifie respectivement la perception de très mauvaises à très bonne.

Il s’est agi dans l’étude d’apprécier l’état de la gouvernance au Togo en l’an 2000 comparativement à son état d’il y a cinq ans.

Depuis quelques années, les problèmes de gouvernance sont au centre des préoccupations des décideurs, des institutions internationales, des bailleurs de fonds, des ONG et des centres de recherche qui sont engagés dans divers pays dans la promotion du développement humain et la lutte contre la pauvreté.

Cette étude sur les perceptions de la gouvernance au Togo a pour objet de cerner les différentes dimensions de la gouvernance les plus importantes. Elle découle d’une vaste enquête sur la gouvernance dans le monde organisée par l’Université des Nations Unies (UNU). L’étude est réalisée selon une méthodologie qui repose sur une enquête réalisée en l’an 2000 auprès d’une quarantaine de personnalités (désignées experts dans la suite du document) appartenant à neuf corps socio-politiques et sur les traitements des données d’enquête. Les neuf corps concernés sont : Ministres, Entrepreneurs, Magistrats et Avocats, Parlementaires, Universitaires, ONGs, Fonctionnaires, Organisations internationales et autres.

Dans cette analyse aborde deux aspects essentiels, à savoir :

1). Appréciation générale de la gouvernance au Togo

L’évaluation générale de la gouvernance au Togo repose sur les perceptions exprimées par des experts à travers 30 questions réparties en 6 dimensions à savoir :

1. Participation au processus politique

2. Agrégation des intérêts dans le processus politique

3. Conduite de l’Etat

4. Application des politiques, en particulier la bureaucratie

5. Relations entre l’Etat et le marché

6. Règlement des différends, en particulier le pouvoir judiciaire

L’analyse des résultats de l’enquête a révélé que :

Ces résultats portant sur les scores moyens sont renforcés par l’analyse des fréquences des 30 questions spécifiques portant sur les périodes " il y a 5 ans " et " aujourd’hui " . Le recours à cette caractéristique a permis d’observer deux (2) niveaux de perception pertinents d’analyse sur la gouvernance : un niveau indiquant une très faible ou faible perception de la gouvernance par plus de 50 % des experts et un niveau reflétant que moins de 50% des experts ont eu une large ou très large perception de la gouvernance. Le premier cas concerne selon les périodes plus de deux tiers des questions, 21 il y a 5 ans contre 23 aujourd’hui. Le second cas est relevé pour 4 questions il y a 5 ans et aujourd’hui.

2). Evaluation des dimensions de la gouvernance

Dans l’ensemble, l’analyse des résultats révèle une faible perception des experts sur certains aspects de la gouvernance au Togo et une perception modérée sur d’autres. Une analyse dynamique des résultats montre que la perception tend à subir une baisse quelle que soit la dimension. Cependant la dégradation entre il y a 5ans et aujourd’hui n’est significative que pour les dimensions 2 et 4.

La faible perception concerne, notamment les dimensions 2, 3 et 4 c’est à dire celles qui sont relatives à :

Ces appréciations semblent liées aux manouvres de blocage politique qui caractérisent l’évolution socio-politique du Togo et l’état des droits de l’homme au cours de ces 5 dernières années. En effet, depuis les élections présidentielles contestées de 1998 et le boycott des élections législatives de 1999 par les partis de l’opposition, l’Etat et ses institutions ont perdu de leur crédibilité et sont perçus par la plupart des citoyens comme n’étant pas représentatifs de leurs intérêts. Ce qui a pour conséquence la déliquescence de l’Etat et de ses démembrements ; d’où l’échec dans l’application des politiques.

Pour les autres aspects de la gouvernance, la perception est relativement modérée. Il s’agit des dimensions 1, 5 et 6 qui concernent :

Ces derniers résultats tendent à refléter dans une certaine mesure la situation de la gouvernance au Togo. En effet, depuis les évènements d’octobre 1990, le pays connaît une certaine ouverture démocratique. Ce qui a permis la création de plusieurs partis politique, syndicats, ONGs et associations des droits de l’homme. Cette démocratisation s’est manifestée également par la multiplication de journaux privés et l’apparition de radio privée. De la sorte, les scores obtenus au niveau des dimensions 1, 5 et 6 décrivent cette ouverture démocratique.

2.1. Participation au processus politique : dimension 1

D’une manière générale, les scores obtenus par question sont relativement proches du niveau modéré et sans une variation significative d’un expert à un autre entre la période il y a 5 ans et aujourd’hui. En d’autres termes, la participation au processus politique des citoyens au Togo est jugée dans l’ensemble modérée avec toutefois une tendance à la baisse.

Les composantes de cette dimension qui ont connu une hausse dans l’appréciation dans le temps sont celles relatives :

· à la liberté d’expression ;

· à la liberté de réunion ;

· à la discrimination en matière de politique.

Une légère dégradation est observée dans les cas suivants :

· participation facile au débat public sur les principaux changements de politique ;

· respect du système d’élaboration des règles.

2.2. Agrégation des intérêts dans le processus politique : dimension 2

La spécificité des résultats obtenus pour les questions relatives à l’agrégation des intérêts dans le processus politique est d’une part le faible niveau de perception de la gouvernance et d’autre part la dégradation de la situation de cet aspect de la gouvernance dans le temps. En effet, tous les scores moyens calculés sont d’un niveau faible avec une tendance à la baisse aujourd’hui par rapport aux 5 dernières années.

2.3. Conduite de l’Etat : dimension 3

Sur la conduite de l’Etat, les scores moyens révèlent une faible appréciation de la part des répondants. Cette perception tend à se détériorer insensiblement dans le temps. Toutefois, on observe pour trois questions particulières une tendance à un léger relèvement, il s’agit des cas de :

· l’engagement de l’Etat à assurer la sécurité personnelle des citoyens ;

· la détermination des pouvoirs publics à la résolution des conflits intérieurs par des voies pacifiques ;

· la subordination des militaires à un gouvernement civil. Cependant, la perception relative à la subordination des militaires à un gouvernement civil se trouve toujours à un niveau faible.

2.4. Application des politiques, en particulier la bureaucratie : dimension 4

Dans l’application des politiques, en particulier la bureaucratie, les scores moyens obtenus sur les 2 périodes indiquent une faible appréciation du fonctionnement du système administratif public du Togo par les experts interrogés. Une analyse dynamique de cette dimension de la gouvernance indique la persistance de cette perception qui tend donc à se dégrader quelque soit la composante considérée.

2.5. Relations entre l’Etat et le marché : dimension 5

D’une manière générale, les relations entre l’Etat et le marché n’ont guère varié de manière significative il y a 5 ans et aujourd’hui. La perception est restée à un niveau modéré pour les deux périodes. Toutefois, une analyse des scores moyens par question indique une légère hausse dans deux cas contre de légères baisse dans 3 cas.

Les cas de hausse concernent :

· le degré de transparence dans l’octroi d’un permis ;

· la prise en compte par les pouvoirs publics dans la formulation de leurs politiques des nouvelles règles relatives aux échanges, aux fuyants et aux flux de technologie dans le monde.

Les cas de baisse ont trait à :

· l’engagement des personnes exerçant des fonctions publiques dans le respect des droits de propriété ;

· l’application équitable sans discrimination des règlements économiques aux entreprises ;

· la consultation du secteur public et du secteur privé dans la formulation des politiques.

2.6. Règlement des différends, en particulier le pouvoir judiciaire : dimension 6

Le niveau de perception de cette dimension relative au règlement des différends en particulier au pouvoir judiciaire est dans l’ensemble modéré sur les deux périodes. Cependant, l’analyse des différentes composantes sur la base des scores moyens relève une situation qui se détériore dans les cas suivants :

· égalité d’accès des citoyens à la justice ;

· clarté des processus de décisions dans le système judiciaire ;

· degré de responsabilité des autorités judiciaires vis-à-vis de leurs actes.

En d’autres termes, on note de moins en moins le même accès à la justice par les citoyens tout comme la transparence dans le processus de prise de décisions dans le système judiciaire et la responsabilité des autorités judiciaires devant leurs actes.

Par contre, dans les deux dernières composantes de cette dimension, on note une légère hausse. Il s’agit de :

· degré d’intégration des normes juridiques internationales concernant les droits de l’homme dans le régime des droits des nations ;

· l’existence de processus non judiciaire pour un juste règlement des différends.

A l’issue de cette étude, les conclusions suivantes peuvent être dégagées :

1. Dans l’ensemble, selon l’appréciation générale de la gouvernance au Togo, les perceptions exprimées par les experts sont relativement faibles. La majorité des questions n’ont pas atteint sur les deux périodes " aujourd’hui " et " il y a cinq ans ", le score moyen d’appréciation. Par ailleurs, lorsqu’on se réfère aux fréquences, il ressort que pour plus des deux tiers des questions, plus de 50% des experts ont exprimés une perception faible et très faible.

2. L’analyse de la perception selon la dimension révèle deux niveaux de perception : un niveau faible et un niveau relativement modéré. Les cas de faible niveau concernent les trois dimensions suivantes : " l’agrégation des intérêts dans le processus politique ", " la conduite de l’Etat ", et " l’application des politiques, en particulier la bureaucratie ". Les situations de niveau relativement modéré sont relatifs autres dimensions à savoir : " la participation au processus politique ", " la relations entre l’Etat et le marché " et "le règlement des différends, en particulier le pouvoir judiciaire ".

3. L’analyse de la perception selon la dimension et dans le temps indique la baisse dans le niveau d’appréciation entre il y a 5 ans et aujourd’hui. Toutefois la détérioration n’est vraiment significative que pour deux aspects : " l’agrégation des intérêts dans le processus politique " et " l’application des politiques, en particulier la bureaucratie ".

A la lumière de ces conclusions, il semble que les estimations et les appréciations des experts soient conformes au contexte socio-économique et politique du pays caractérisé par le blocage de la vie politique, la médiocrité des performances économiques et la dégradation des conditions de vie des populations, et la détérioration des valeurs morales, des normes et de l’éthique.

En définitive, la conjugaison de tous ces facteurs et variables négatifs de cet environnement tend à conduire à une faible perception de la gouvernance sous ces différents aspects par la majorité des experts dont les commentaires visent généralement à corroborer cette appréciation.

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