Initiative sur les constitutions en Afrique et le groupe de recherche sur les modes de gouvernance en Afrique

Le développement du constitutionnalisme en Afrique révèle un grand paradoxe entre les progrès réalisés en matière de démocratie et de protection des doits de l’homme sous l’impulsion de facteurs internes et externes d’une part et d’autre part le grand scepticisme que suscite l’ineffectivité des constitutions et leur inadaptation aux sociétés qu’elles sont censées régir; elles sont même parfois source de conflits. Ce paradoxe mérite une réflexion renouvelée qui ré interroge la problématique de l’ancrage des constitutions dans les sociétés africaines. L’initiative se propose ainsi de réfléchir et de faire des propositions sur les valeurs défendues dans les constitutions, les modalités d’élaboration et d’adoption de ces constitutions ainsi que les conditions nécessaires à leur assurer efficacité et effectivité.

Texte complet

Présentation détaillée :

I/ CONTEXTE

Dans le cadre de son programme d’action 2006-2010, l’Alliance pour Refonder la Gouvernance en Afrique a mis en place un groupe d’initiative pour le pluralisme juridique. Cette initiative part du constat de l’importance de la distanciation entre le droit en tant qu’élément de régulation des sociétés et les réalités africaines. Dans la plupart des pays, les systèmes juridiques nationaux ont cherché à unifier les modes de régulation des sociétés dans un double sens: uniformisation des normes d’une part et, d’autre part, unification des sources de celles-ci. L’uniformisation des normes a souvent consisté à imposer un modèle dominant largement emprunté à des systèmes juridiques étrangers. En Afrique de l’Ouest, l’influence des systèmes coloniaux, particulièrement dans les pays francophones, s’est traduite par des normes d’inspiration judéo-chrétienne et romano-germanique empruntées au colonisateur français. Quant à l’unification des sources, élément parmi d’autres de la construction d’un Etat-nation en gestation soumis aux mêmes règles, elle postule que les sources du droit soient exclusivement subordonnées au monopole des institutions étatiques, notamment aux pouvoirs législatifs et réglementaires constitutionnellement reconnus.

Cette double volonté d’unification n’a pas fondamentalement eu prise sur les sociétés africaines dont les règles de droit souffrent à la fois de l’inaccessibilité due à la langue et de l’inadaptation aux contextes dans lesquels elles s’insèrent. Cette inadaptation se traduit par le recours et la référence collective à des règles dans lesquelles chaque corps social ou communauté se reconnaît. Il apparaît ainsi que le droit produit par les institutions étatiques devient un droit extérieur entrant souvent en concurrence ou en conflit avec des normes internes, véritables produits du corps social qui les a produites sans l’intermédiation d’une règle étatique.

Le résultat, c’est l’existence en pratique de différents systèmes de production et, partant de différentes normes qui cohabitent, qui s’imbriquent ou qui s’ignorent mais qui n’ont psychologiquement ni la même force ni la même reconnaissance et qui, parfois, peuvent même constituer un frein à l’activité économique et à l’harmonie sociale. On a ainsi abouti à des systèmes juridiques très complexes dont l’attitude à l’égard des droits « internes » est typologiquement très variable selon les pays, les domaines ou la trajectoire historique.

L’Alliance pour Refonder la Gouvernance en Afrique considère le pluralisme juridique comme une donnée inhérente à la diversité du corps social. Plutôt que d’ignorer une réalité intangible, elle milite pour son instrumentation comme un facteur de refondation de nos systèmes de gouvernance qui souffrent d’un déficit de légitimité et d’efficacité.

II/ PROBLEMATIQUE

Etant au sommet de la hiérarchie des normes, la constitution constitue la brique fondamentale de l’organisation politique, économique et sociale d’un pays. Son inadaptation implique une grande distorsion entre les principes et règles qu’elle énonce et les pratiques et représentations du corps social qu’elle est censée réguler. En Afrique, l’essor du constitutionnalisme est marqué d’un grand paradoxe. Il a certes permis des progrès incontestables des valeurs démocratiques et des droits de l’homme, notamment depuis le début des années 90, mais il suscite aussi « un scepticisme accru et de sérieux doutes à la fois sur l’effectivité de ce constitutionnalisme et sur son adaptation aux sociétés qu’il est censé régir. Pire pour d’autres, le constitutionnalisme et ses institutions sont considérés dans la pratique comme une cause nouvelle, supplémentaire de tensions et de crises, celles-ci étant interprétées comme la preuve de l’inadéquation des textes fondamentaux au contexte dans lequel ils s’inscrivent » . Il n’est pour s’en convaincre que d’observer les reflux actuels des systèmes démocratiques : conflits électoraux, atteintes manifestes aux droits et libertés reconnus par les constitutions, « révisionnisme » constitutionnel, etc.… C’est que l’importation de modèles constitutionnels, même si elle n’est pas totale, marque aujourd’hui ses grandes limites et donne lieu à des pratiques « d’endogénéisation » qui suscitent de plus en plus d’interrogations.

La première est relative aux valeurs défendues dans les constitutions. Sans revenir sur le débat concernant le caractère universel de certaines d’entre elles, il s’agit simplement de réfléchir à nouveau sur le point de savoir dans quelle mesure une constitution peut être le reflet des valeurs enfantées par la société qu’elle « constitue ». D’un pays africain à un autre, les sociétés se reconnaissent-elles dans leurs constitutions actuelles ? Traduisent-elles un acte social qui fait sens ou un simple outil juridique et technique d’organisation de la société, souvent identifié à son initiateur et dont l’adoption est dans la majeure partie des cas tributaire des rapports de force politiques du moment ? En définitive, la question posée est de savoir si les « mythes fondateurs » véhiculés dans les constitutions, en tant qu’acte instituant, sont partagés malgré la difficulté de toute interrogation sur des valeurs et des représentations dont on ne maîtrise ni la consistance réelle ni la permanence.

La deuxième interrogation concerne les processus d’élaboration et d’adoption des constitutions. La diversité qui règne de ce point de vue est remarquable entre les pays qui, dans les années 90, ont formellement mis en place des conférences nationales associant plus ou moins de larges segments de la société et ceux qui ont directement recouru à un référendum sur la base de textes élaborés par des experts. La validité de l’une ou l’autre méthode mérite d’être éprouvée au regard de la question fondamentale de la légitimité des constitutions et des conséquences que le processus d’élaboration peut avoir sur la reconnaissance et la mise en œuvre des orientations retenues.

Enfin une troisième interrogation peut être soulevée à propos de l’efficacité et de l’effectivité des constitutions africaines. Les pratiques constitutionnelles sont en effet aussi importantes que la lettre des textes surtout lorsqu’elles sont à l’origine de tensions sociales et politiques. Si en effet l’objectif primordial d’une constitution est de pacifier l’espace social et politique en le soumettant à des normes acceptées et respectées, il faut convenir que la persistance des difficultés à réguler des conflits devenus cycliques sur le continent est le signe d’une crise des normes constitutionnelles elles-mêmes, normes dont on doit réinterroger la façon dont elles sont appréhendées et appliquées par les acteurs politiques, sociaux et judiciaires.

III/ OBJECTIFS

Ces divers constats doivent servir à redéfinir les modalités d’un meilleur ancrage social des constitutions en Afrique. Il ne s’agit donc pas d’une réflexion générale sur le constitutionnalisme africain mais plutôt de déterminer si l’Afrique peut d’une part se libérer des grandes tendances au mimétisme constitutionnel et d’autre part définir ses propres modèles et les construire à partir des réalités concrètes de chaque pays.

L’initiative se propose ainsi d’élaborer des propositions concrètes à la fois sur les processus d’élaboration des constitutions, les orientations philosophiques, les contenus techniques et la mise en œuvre des constitutions en Afrique. Elle constituera aussi la première pierre de la mise en place du Groupe inter africain de recherche sur les modes de gouvernance en Afrique.

IV/ MISE EN OEUVRE

1/ Réalisation d’une recherche qui couvre l’ensemble sinon une grande partie des pays d’Afrique de l’Ouest en incluant la diversité historique liée à la colonisation ; cette recherche devra donc couvrir des pays francophones, anglophones et lusophones. Elle devra notamment s’intéresser aux interrogations soulevées dans la problématique :

2/ Organisation d’un atelier régional dont le document de base sera constitué par la recherche précitée. Cet atelier verrait la participation de constitutionnalistes et de chercheurs traditionnels qui formeront le premier noyau du groupe de recherche. Il permettrait de valider les résultats de l’étude et de lancer des chantiers spécifiques sur les questions constitutionnelles (ex : les élections, le contrôle des pouvoirs, la reconnaissance du pluralisme juridique, etc.)

3/ Adoption d’un plan d’action du groupe de recherche sur les constitution

Gouvernance légitime
Refonder le vivre ensemble et l’Etat
Construire la Paix et la Sécurité
Promouvoir les Territoires et le Développement

Initiatives

Mots-clés

Thématiques

Géographiques

Acteurs

Méthodologiques