Initiative pour le pluralisme juridique et la cohabitation des légitimités

Le droit est un des éléments de la structuration et de la régulation des sociétés. Produit de celles-ci, il est un instrument qui participe de l’organisation sociale,politique et économique et conditionne le développement. Pour assurer leur fonction, les normes doivent être le reflet des sociétés qui les ont sécrétées au sens où leurs destinataires doivent les reconnaître, les accepter et s’y soumettre de façon spontanée. Or en Afrique, l’existence de communautés diverses ayant chacune leur propre système de production normative entrant en concurrence, voire en conflit avec le droit positif produit presque exclusivement par les autorités étatiques est de nature à obérer la légitimité mais aussi l’efficacité des systèmes juridiques en raison d’une forte tendance à importer des modèles juridiques extérieurs aux sociétés. Plutôt que de favoriser une régulation harmonieuse de celles-ci, le droit devient une source de conflit et un frein à l’épanouissement individuel et collectif parce qu’inadapté et inaccessible. La volonté d’unification des normes et de leurs sources n’a pas empêché la persistance de la référence aux droits traditionnels. Reconnu ou non, le pluralisme juridique est une donnée incontournable dont la prise en compte est nécessaire à la refondation de la gouvernance, de l’échelle locale à l’échelle mondiale. Ce groupe d’initiative participe d’une quête: celle de sa reconnaissance dans nos systèmes juridiques afin d’asseoir leur légitimité et leur efficacité tout en répondant aux besoins d’une société moderne capable de répondre aux défis de son temps et de son insertion dans un monde globalisé. Il part d’un besoin de connaissance des divers déterminants de la production des droits en Afrique, de leur influence réelle et de la manière dont leur cohabitation pourrait être assurée de façon harmonieuse

Texte complet

Présentation détaillée :

I/ Contexte et problématique

Le contexte

En Afrique, la plupart des systèmes juridiques nationaux ont cherché à unifier les modes de régulation des sociétés dans un double sens: uniformisation des normes d’une part et, d’autre part, unification des sources de celles-ci.

L’uniformisation des normes a souvent consisté à imposer un modèle dominant largement emprunté à des systèmes juridiques étrangers. En Afrique de l’Ouest, l’influence des systèmes coloniaux, particulièrement dans les pays francophones, s’est traduite par des normes d’inspiration judéo-chrétienne et romano-germanique.

Quant à l’unification des sources, élément parmi d’autres de la construction d’un Etat-nation en gestation soumis aux mêmes règles, elle postule que les sources du droit soient exclusivement subordonnées au monopole des institutions étatiques, notamment aux pouvoirs législatifs et réglementaires constitutionnellement reconnus. Même lorsque la coutume est source du droit, ce pouvoir de produire des normes juridiques ayant un caractère contraignant et dont la violation est sanctionnée par la force publique n’est attribué au corps social que de façon médiate à travers l’onction d’une règle provenant d’une instance étatique.

Cette double volonté d’unification n’a pas fondamentalement eu prise sur les sociétés africaines et les raisons de l’inadaptation de cette greffe sont multiples. En effet, si les normes de droit positif répondent au critère de la régularité formelle et procédurale, elles satisfont rarement les deux autres critères d’une « bonne règle de droit » , à savoir la légitimité et, partant, l’efficacité. Il en résulte souvent que les normes sont pas reconnues par leurs destinataires ni appliquées par ces derniers.

C’est que le droit dit « moderne » est en soi soumis à l’influence d’un contexte dans lequel il doit s’insérer mais qui ne lui est pas favorable. D’une part il souffre de son inaccessibilité. Elaboré et divulgué dans une langue étrangère et dans un support, le Journal officiel, rarement utlisé, il est ignoré de la majorité de ses destinataires. Le seul expédient pour contrer cette ignorance et assurer malgré tout son caractère obligatoire et contraignant a été d’instituer le principe célèbre selon lequel « Nul n’est censé ignorer la loi » . Nul n’a pourtant jamais démontré que cette présomption de connaissance de la loi était un gage de son application effective et spontanée par ses destinataires.

D’autre part, le droit dit « moderne » est en soi inadapté. Conçu pour la société, le droit doit être le reflet des réalités de celle-ci. Sa reconnaissance et son respect spontanés sont, au-delà de la simple menace de la sanction qu’implique son inobservation, largement subordonnés aux représentations culturelles et sociales, parfois aux conditions socio-économiques du milieu.

Cette inadaptation se traduit par le recours et la référence collective à des règles dans lesquelles chaque corps social ou communauté se reconnaît. Il apparaît ainsi que le droit produit par les institutions étatiques devient un droit extérieur entrant souvent en concurrence ou en conflit avec des normes internes, véritables produit du corps social qui les a produites sans l’intermédiation d’une règle étatique.

Le résultat c’est l’existence en pratique de différents systèmes de production et, partant de différentes normes qui cohabitent, qui s’imbriquent ou qui s’ignorent mais qui n’ont psychologiquement ni la même force ni la même reconnaissance et qui, parfois, peuvent même constituer un frein à l’activité économique et au développement social. On a ainsi abouti à des systèmes juridiques très complexes dont l’attitude à l’égard des droits internes est typologiquement très variable selon les pays, les domaines ou la trajectoire historique.

La problématique

Mais en tout état de cause, l’existence d’un pluralisme juridique, de jure ou de facto, est une réalité observable dans tous les pays africains en général et Ouest africains en particulier. Le probléme est donc de savoir si on doit laisser se perpétuer un tel système et en ignorer les conséquences institutionnelles, politiques, sociales et économiques ou s’il faut admettre le pluralisme juridique comme une donnée inhérente à la diversité du corps social et l’instrumenter comme un facteur de refondation de nos systèmes de gouvernance qui souffrent d’un déficit patent de légitimité et d’efficacité.

La réponse à une telle question ne va pas de soi. Tout d’abord parce qu’en soi, l’admission du pluralisme juridique suppose que l’on ait une connaissance effective et sysmatisée des divers droits internes ou tradionnels. Or tel n’est pas le cas en raison de leur multiplicité et de leur évolutivité. Ensuite parce que les véritables implications du refus ou de l’admission du pluralisme ne sont pas totalement maîtrisées et mesurées à leur juste valeur, notamment eu égard aux difficultés de concilier la diversité des normes applicables sur une échelle de gouvernance ou une question déterminée avec la recherche de l’unité nécessaire au bon fonctionnement des sociétés. Enfin parce que le problème du pluralisme se pose à toutes les échelles de gouvernance, du local au mondial, ce qui ajoute encore à sa complexité.

Ce Groupe d’initiative a pour objet de déterminer dans quelle mesure et selon quelles modalités les modes traditionnels de production du droit peuvent être officiellement admis pour mieux assurer la légitimité et l’efficacité des systèmes juridiques africains.

II/ Objectifs

1/ Contribuer à la compréhension et à la connaissance des modes de production du droit dans les sociétés africaines en général,ouest-africaines en particulier

2/ Mesurer l’impact des modes de production du droit traditionnel dans nos sociétés actuelles en identifiant ce qui en reste et les justifications des résistances au droit « imposé »

3/ Contribuer à l’identification des obstacles à la prise en compte par nos systèmes actuels des modes traditionnels de production du droit et aux moyens de les surmonter.

4/ Élaborer et faire adopter des propositions pour adapter et renforcer l’efficacité des systèmes juridiques africains en vue d’un développement endogène compatible avec les exigences de la globalisation.

III/ Résultats attendus

1/ Création d’un réseau de recherche et de publication sur le pluralisme juridique qui s’appuirait sur le Groupe inter africain de recherche sur les modes de gouvernance en Afrique.

2/ Mise en place de mécanismes permettant d’associer les acteurs-non étatiques àux processus d’élaboration du « droit général » et de coordonner « droit général » et « droits particuliers » .

3/ Adoption au niveau étatique, régional et continental, de mesures visant à intégrer l’étude des droits traditionnels dans les systèmes d’éducation et de formation universitaires.

IV/ Axes stratégiques

1/ Développement de la connaissance sur les modes tradionnels de production du droit par:

• Le développement de la recherche et de la production sur les modes traditionnels de production du droit

• Sur le plan géographique, le déploiement dans les pays où l’Alliance est déjà présente mais aussi dans des pays où elle n’est pas encore présente et où la problèmatique du pluralisme juridique comporte d’intéressantes particularités (ex: Nigéria et Ghana).

2/ Vulgarisation des modes tradionnels de production du droit

3/ La mobilisation des acteurs dans des cadres d’échange, de propositions sur le pluralisme juridique et de mise en oeuvre des propositions :

a)-Acteurs visés:

• Parlements

• Administrations

• Praticiens du droit (magistrats, avocats, notaires)

• Universités et instituts d’enseignement supérieur

• Chercheurs (juristes, sociologues, anthropologues, historiens

• Chercheurs traditionalistes

• Chefs traditionnels

• Religieux

• Associations communautaires et ONG

• Assemblées et élus locaux

• Institutions d’intégration (CEDEAO, UEMOA, UA)

• Partenaires au développement

b)-Partenariats

Le partenariat avec l’Union Africaine sera particulièrement mis à profit dans le cadre du Plan d’action issu du forum sur la gouvernance en Afrique coorganisé avec cette institution par l’Alliance, lequel Plan d’action prévoit explicitement la création d’un groupe inter-africain de recherche sur les modes de gouvernance en Afrique, y compris les modes traditionnels. La création du Réseau de recherche et de publication sur le pluralisme juridique peut participer de la mise en place de ce groupe.

De même ce partenariat avec l’Union Africaine constitue une entrée stratégique pour sensibiliser les décideurs étatiques et nouer d’autres partenariats avec les autres institutions d’intégration régionale d’une part et les partenaires au développement d’autre part.

V/ Activités

1- ETAPE 1

• Identification des membres et constitution du réseau de recherche (année 1)

• Lancement de la recherche dans les domaines prioritaires: foncier, relations familiales, institutions publiques et pouvoirs en Afrique (année 1)

• Amorce du processus de mise en place des colléges (année 1)

• Collecte des expériences et des productions au sein des colléges (années 1&2)

2- ETAPE 2

• Analyse transversale et systématisée de toutes les productions (année 2)

• Élaboration de propositions

• Plaidoyer pour la mise en œuvre des propositions (année 2)

• Publications (année 2)

Partenariat engagé :

Universitaires

Union Africaine

Gouvernance légitime
Refonder le vivre ensemble et l’Etat
Construire la Paix et la Sécurité
Promouvoir les Territoires et le Développement

Mots-clés

Thématiques

Géographiques

Acteurs

Méthodologiques