Le poids des marabouts dans la gestion du développement communautaire

Le religieux dans l’installation de commissions de « Penc » (Cadre de concertation communautaire) : le cas du « Penc » de Taïba Niasséne

Depuis l’indépendance, la question du développement a été portée par un Etat promoteur qui, à un moment de l’histoire politico-économique, a connu des limites liées, en partie, à la confiscation du destin des communautés par « l’expertise » (les programmes de développement étaient élaborés par des personnes autres que les acteurs locaux). C’est pourquoi, le développement à la base fut promu pour responsabiliser les communautés et dans le but de les amener à prendre en main leur propre destin. Ce type de développement vise à satisfaire les besoins des collectivités locales à travers des structures qu’elles contrôlent avec des moyens dont elles disposent et en fonction des perspectives de développement dans lesquelles elles se reconnaissent.

Dans cette perspective, les collectivités locales se sont ouvertes aux partenaires au développement tels que les services décentralisés de l’Etat, la coopération décentralisée, les ONG, etc. qui agissent en concert avec les acteurs à la base.

Aussi, Taïba Niassène, une Communauté Rurale couvrant une superficie de 125 km²et située dans la région de Kaolack, dans le département de Nioro du Rip au cœur du bassin arachidier sénégalais, s’est-elle engagée dans ce processus. Il s’y ajoute que Taïba constitue un célèbre foyer religieux, car lieu de naissance du vénéré marabout El Hadj Ibrahima NIASSE dit BAYE. Et cette figure marquante de l’Islam du 20e siècle reste encore plus que vivace dans toute la sous-région de l’Afrique de l’Ouest. Donc, Taïba est un symbole pour la famille Niasse et les disciples et adeptes.

Ainsi donc, le 18 août 2008, ce fut l’installation du « Penc » (terme wolof qui désigne un cadre de concertation regroupant l’ensemble des organisations de développement dans une communauté rurale) à Taïba Niassène, avec l’appui du partenaire stratégique Symbiose/Sénégal. Ensuite, un atelier de mise en place des commissions du Penc a été organisé dans la dite communauté rurale, le O1 septembre 2008. Les membres du conseil d’administration (CA) ont cru nécessaire d’avoir quatre (4) commissions à savoir : une commission chargée des affaires économiques, une commission chargée des affaires religieuses, une commission chargée de gestion de l’environnement et des ressources naturelles et une commission sociale. Au fil des échanges, d’aucuns constatèrent qu’il pourrait avoir une confusion entre la commission sociale et celle chargée des affaires religieuses pour des raisons de double emploi. En effet, pour les tenants de cette idée, les affaires religieuses sont incluses dans la commission sociale. Les autres, qui tenaient, vaille que vaille, à faire figurer le mot « religieux « dans les commissions, insistaient sur le fait que la « légitimité dans la communauté rurale est incarnée par le marabout et personne d’autres ». Dans la même veine, une autre personne déclare : « saasu waawu askanwi dajje ak bu sëriñ bi, suñu bosay tëdd ! » (Qui veut dire, en substance, que la parole du marabout s’impose dans la communauté rurale, en dernière instance) ; et pour cause, le marabout, par son aura, permet d’ouvrir des portes qui, pour le conseil rural, peuvent être fermées. Après un débat très tendu, un membre du conseil d’administration propose d’introduire le terme religion entre parenthèse : commission sociale (éducation, santé, religion, etc.). Ceci a été décidé à dessein pour donner une certaine visibilité au marabout qui, par ailleurs, détient une suprématie sur le conseil rural lui-même. Pour preuve, « quand le programme du Conseil Rural coïncide avec celui du marabout, le religieux l’emporte sur l’administration locale. Cette situation s’explique par le fait que le conseillers ruraux doivent, dans une large part, leur existence au marabout », déclare quelqu’un.

En fin de compte, on se retrouve avec trois (3) commissions : la commission économique, la commission sociale (éducation, santé, religion, etc.) et la commission chargée de la gestion de l’environnement et des ressources naturelles.

Commentaires

Comme le fait ressortir la présente fiche d’expérience, il existe ici, comme ailleurs au Sénégal, la coexistence de plusieurs modes d’administrations : l’institution légale incarnée par le conseil rural et l’institution légitime détenue par les chefs religieux et coutumier. Au demeurant, dans le sens d’instaurer un climat de paix durable et de pérenniser la cohésion sociale, cette situation présente des avantages notoires. Au lieu de s’exclure ou de s’affronter, les deux instances (l’institution légale et l’institution légitime) s’articulent de façon harmonieuse. Autrement dit, les deux instances fonctionnent en parfaite synergie. Et ce faisant, au profit des populations.

Par ailleurs, comme ici on est talibé de Baye avant d’être citoyen, les activités dont le soubassement est religieux sont perçues comme des devoirs. Et en tant que telles, elles s’avèrent plus déterminantes que les activités civiques plutôt fortuites. Somme toute, loin d’être une gêne pour le conseil rural, la présence du facteur religieux constitue même une sorte une soupape de sécurité (sociale).

Notes

Les communautés rurales sont régies au Sénégal par des textes relatifs à la décentralisation et le code des Collectivités locales, notamment les Lois n° 96 . 06 et 96. 07 du 22 mars 1996.

Lesquelles lois disposent que la Communauté rurale est une collectivité locale dotée de la personnalité morale, d’une autonomie financière et d’une assemblée élue au suffrage universel. Cette assemblée est appelée Conseil Rural qui est l’organe délibérant composé, ici, de 32 conseillers.

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